Mastodon : le buzz décrypté par Jean-Christophe Gatuingt (Visibrain)

Analyse : Retour analytique sur l'émergence de Mastodon et son incroyable percée médiatique.

Par Benoit Darcy

  • 5 min

Benoit Darcy

Ces dix derniers jours ont été marqués par l’émergence d’un nouveau social : Mastodon. A priori, rien n’à voir avec le groupe de Métal du même nom… Le phénomène n’est d’ailleurs pas sans rappeler un certain Ello.co, un autre réseau social alternatif qui avait connu en septembre 2014 un intérêt subit, mais qui après un mois n’intéressait déjà plus grand monde

Si Ello.co tirait plutôt son inspiration de Facebook avec un positionnement basé sur l’absence de monétisation des données utilisateurs, Mastodon se veut davantage un « clône libre » de Twitter. Une autre différence entre les deux réside dans l’incroyable buzz qu’à généré Mastodon en une semaine.

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Ce buzz, nous allons le décrypter avec Jean-Christophe Gatuingt, co-fondateur de Visibrain, déjà mis à contribution dans ces colonnes, notamment pour comprendre le phénomène #JeSuisCharlie ou encore lors de « l’affaire Instagram/Vine« … A l’origine restreint à Twitter, le champ d’action de Visibrain s’est depuis considérablement élargi pour devenir l’une des plateformes de premier plan en matière de veille temps-réel des médias en ligne (presse, blogs, réseaux sociaux…).

BD : Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur Mastodon ?
JCG : Mastodon a été créé en octobre 2016 par un développeur allemand et fait particulièrement parler de lui depuis la semaine dernière. C’est un réseau social très similaire à Twitter, il en reprend les grands principes (messages courts publics, en temps-réel, avec un graphe social asymétrique) et son interface en colonnes s’inspire de TweetDeck

BD : Quelles sont ses spécificités et ses différences par rapport à Twitter ?
JCG : La grande différence entre Twitter et Mastodon se trouve dans la notion de propriété du réseau. Twitter est possédé par l’entreprise Twitter Inc., alors que personne n’est propriétaire de Mastodon. C’est un réseau totalement décentralisé, basé sur un code open-source. Cela ressemble au principe du protocole email : personne ne possède le réseau email, et n’importe qui peut créer son serveur email et se relier au reste du réseau (même si bien évidemment, quelques acteurs majeurs comme Gmail, Hotmail, Yahoo ou Laposte concentrent un très grand nombre d’utilisateurs). Mastodon possède quelques fonctionnalités bien pratiques et spécifiques : la possibilité d’écrire des messages jusqu’à 500 caractères, de cacher une partie du message (« Content warning »), ou de régler la confidentialité d’un message spécifique (plutôt que de l’ensemble du compte).

BD : Comment vous êtes vous aperçu de l’émergence de ce nouveau réseau ?
JCG : Grâce à notre plateforme de veille… Les premiers signaux faibles sont visibles le week-end du 1er et 2 avril, mais le sujet reste confiné dans la communauté du logiciel libre. Seul un article est publié sur un blog personnel (ici), et la presse n’a manifestement pas encore vu le sujet.

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BD : Quelles ont été les étapes décisives qui ont rendu Mastodon aussi populaire, au point d’en faire un trending topic mondial sur Twitter ?
JCG : Grâce à la porosité et à la viralité de Twitter, cette première vague en a emmené une plus importante le lundi 3 avril, avec notamment l’implication du YouTubeur Antoine Daniel. A partir de ce moment un effet boule de neige se produit. Le média en ligne Numerama publie un premier article, suivi par d’autres gros blogs high-tech comme Korben et les sections dediées au numérique des sites de presse comme Le Monde, 20 minutes ou Capital. Ensuite, le hashtag #Mastodon devient un « Trending Topic » sur Twitter… ce qui amène d’ailleurs de la confusion chez certains utilisateurs, qui croient à une nouvelle tournée de leur groupe préféré… Depuis, on a détecté via notre plateforme, dans le monde, plus de 100.000 messages sur les réseaux sociaux et près de 3.000 articles sur le web, de l’article vulgarisateur dans la presse grand public au billet de blog très technique expliquant comment monter sa propre instance…

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BD : Diriez-vous que l’engouement en France a eu des répercussions dans le monde ?
JCG : Oui, sans aucun doute ! Le réseau commençait déjà à faire son chemin partout dans le monde avant avril, en particulier dans les communautés du logiciel libre et de la sécurité informatique, qui sont très internationales par nature. Pourtant, c’est bien le début du buzz en France qui a donné une autre ampleur au phénomène, l’a fait connaître au grand public, et a créé une activité forte dans les 2 langues (français et anglais) sur Mastodon. Ce dernier point l’a fortement crédibilisé comme alternative à Twitter, à la fois pour les nouveaux entrants et pour les journalistes… D’ailleurs, l’article de Numerama a été publié le 3 avril à 18h00, alors que le premier article de la presse high-tech américaine est celui de TheVerge, le 4 avril à 17h30 (heure de Paris) !

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BD : A quoi ressemble l’après-buzz pour Mastodon ?
JCG : Si l’on en croit le nombre de messages sur les réseaux sociaux classiques, un pic a été atteint le mercredi 5 avril. Depuis, le nombre de messages suit une courbe décroissante, ce qui est assez classique pour n’importe quel « buzz ». Les conversations sur Twitter se maintiennent tout de même à un certain niveau (plusieurs centaines de messages par jour), alors qu’il n’y avait quasiment rien avant le buzz. Aussi, quelques articles continuent d’être écrits dans la presse, notamment pour pointer les défauts de Mastodon cette fois (plantages, etc.). A moins d’une nouvelle actualité forte, il est probable que le phénomène médiatique se tasse assez vite. Directement sur Mastodon, le nombre de « Toots » envoyés chaque jour ne baisse pas (il y a environ 5 fois plus de messages qu’avant le buzz), et de nouvelles instances se créent et se remplissent. Certaines ont même dû fermer leurs inscriptions pour garantir un service de qualité dans la durée.

BD : Est-ce que le phénomène réussit à perdurer ?
JCG : Sans aucun doute, Mastodon vient de franchir un palier significatif dans sa conquête d’un usage massif. Mais il est difficile de dire si le phénomène va perdurer à moyen terme. Autant certaines communautés « geek » sont très réceptives à l’aspect décentralisé du réseau et pourraient y voir un terrain de jeu privilégié (tout en continuant à utiliser en parallèle un réseau comme Twitter), autant l’utilisateur lambda pourrait se lasser très vite… à supposer qu’il arrive à s’inscrire…

A lire sur le blog de Visibrain : le décryptage encore plus complet du phénomène.

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